dimanche 10 novembre 2013

Bananes



Ma première maîtresse était une femme un peu ronde, pas très grande et avec des yeux très sombres. Sa peau luisait doucement lorsqu’elle passait de l’ombre à  la lumière. Son parfum allait et venait autour de moi avec douceur. Je suivais sa marche sans en perdre une miette.
Lorsque je croisais  son regard  j’y voyais de l’amour. Mais mes yeux s’attardaient plutôt sur son décolleté profond  qui recelait des mystères dont l’élucidation nécessitera  encore quelques années. Ma première maîtresse m’a appris à lire.
J’aimais le son de sa voix et jamais elle n’a crié après moi lorsque je faisais des erreurs. Même enfant je me rendais compte qu’elle parlait magnifiquement  bien  et à mes parents je disais «  vous ne  parlez pas comme la maîtresse ».
Pour diriger mon doigt vers  la bonne syllabe  elle posait sa main sur  mon poignet et je sentais la chaleur de sa  paume. Cela me rassurait. J’ai appris vite malgré la tentation qu’elle serre  souvent mon  poignet.
Ma première maîtresse était une femme noire.
Une guadeloupéenne. C’est à Basse-Terre, en 1957, que j’ai appris à lire. Merci maîtresse, tu m'as initié à un plaisir qui dure encore.





L’école de mon enfance a bien changé.
On lui a foutu un toit mansardé et rajouté une belle terrasse sur un flanc.

lundi 14 octobre 2013

Commerce triangulaire

- Comment êtes-vous arrivé ici?

- J'ai franchi un désert et des montagnes, j'ai pris des trains la nuit et volé des poules. J'ai fumé des cigarettes sur les chemins glacés et parfois ri au fond d'un container délabré avec un ami pour échapper quelques instants à la peur.
- Et vous?
- Le village m'a désigné. J'ai donné l'argent à des bandits qui m'ont laissé au milieu de nulle part. Seul dieu fait que je suis ici.
- Et vous?
- J'ai marché, tout le temps j'ai marché....

Là bas un homme seul regarde la mer. Je m'approche.

- Pourquoi êtes-vous là?

- Je suis là parce que les milices ont violé ma mère et ma sœur  avant de les tuer et que j'en avais marre de manger ces merdes de poulets avariés dont tu remplis les bateaux qui viennent chez nous et repartent avec l'or de nos mines.Je suis là en esclave volontaire de ton nouveau commerce triangulaire. Je suis là comme un fruit abandonné de l'arbre de la corruption. Je suis là pour être avec mes frères qu'on a gazés et ceux dont on a égorgé la famille au nom de dieu. Je suis là parce que tu ne sais plus mettre les pieds dans la boue et les mains dans la chaux. Je suis là parce que  que tu as joué sur le cours du coton. Je suis là pour que dans ton salon tu voies mon corps gonflé à la surface de l'eau, filmé depuis l'hélicoptère, la nuit, avec le projecteur, et que les gros cons de ton espèce gavée de  whisky et de tranquillisants puissent continuer à rouler en 16 soupapes turbocompressées et dire à leur voisine en riant grassement :" z'auraient mieux fait de s'abonner à Mondial Assistance les zoulous et les couscous".
- Mais je....
- Ta gueule !

jeudi 27 juin 2013

Drapeau




J’aime courir le matin tôt dans la ville en essayant de la regarder avec les yeux d’un étranger. Ceux d’un américain qui verrait tomber sur le parvis du Centre Pompidou des éclats noir et blanc de la superbe exposition Sol Le Witt, ceux d’un kosovar livré tout frais sorti d’un carton  près de la gare routière ou ceux de cette  jeune étudiante chinoise qui observe comme moi  les cols verts sur l’île du parc de la Seille et envoie « Chers parents, mille printemps dorés ne suffiront pas à vous remercier de pouvoir  découvrir  cette étrange contrée où l’on élève des canards en liberté. Regarder une autre civilisation est une source intarissable de bonheur et rien ne saurait égaler l’immensité des questions que cela m’oblige à me poser quant au sens des choses ».
J’aime  ce parc, longer la rivière dans le sens du courant après avoir traversé la houblonnière. Il y a juste ce drapeau.
Au-dessus du Centre Pompidou  flotte un drapeau français. On le voit d’un peu partout. En ces  temps nationalistes c’est un peu pompeux et pompant. Je me demandais hier en courant si le 14 juillet n’y suffirait pas. Et pour les autres jours changer : le lundi  Botswana, le mardi Egypte, le mercredi Ardennes belges (très beau) et ainsi de suite. Chaque soir le dernier visiteur du musée  choisirait le drapeau affiché au matin. Il y aurait aussi  des drapeaux d’enfants, des drapeaux d’artistes, des drapeaux de marine, des longs, des larges, des courts, des triangulaires, des « à tête de mort ». On pourrait créer des produits dérivés, le Dragon soufflant ou  Neige sur fond gris –c’est très joli comme drapeau - Ondulations méditerranéennes etc… Soit quelques milliers de jours différents moins le 14 juillet, c’est avantageux. Ah, envoyer les couleurs dans un musée !
J’imagine le directeur, avec son équipe, en train de hisser la Mongolie Atlantique à 72 mètres de haut. Je doute que ça le fasse rire longtemps le directeur. Mais bon  il faut ce qu’il faut, Metz a un passé militaire. Hisser le drapeau est une tradition et les hauts fonctionnaires de la Nation doivent se plier à quelques contraintes protocolaires.
J’en étais là de mes réflexions lorsqu’un des cols verts s’est mis à gueuler comme quoi il aimait pas le regard laqué de cette chinoise et que j’étais bien trop près des œufs qu’il gardait et que sa nana allait pas tarder à revenir, qu’il allait se faire allumer parce qu’il avait pas réussi à me chasser, que tout ce stress allait se répercuter sur les petits et qu’il faudrait voir à installer une cellule psy dans cette putain d’île tellement les visiteurs viennent nous y briser les rectrices et qu’on pourrait tout de même hisser un drapeau du pays des canards pour bien marquer que c’est chez nous.
Hé bien c’est pas gagné le salut à toutes les couleurs. Bon été à tous.


  EARLY – 2013 – 162x114cm


NB : Le parc de la Seille est l’œuvre (qui vieillit bien)  de Jacques Coulon (architecte) et Laure Planchais (paysagiste)