samedi 16 janvier 2010

Lard contemporain


Mon charcutier a mis une affiche dans sa vitrine : « Lard contemporain ».
Intrigué, je suis entré pour en savoir plus. Il m’a dit :
-Nous réexaminons la relation dedans dehors.
-Pardon ?
Il a poursuivi, avec cet air des gens obligés d’expliquer:
- L’approche du lard contemporain que nous pratiquons nécessite une remise en cause des process de production et de distribution. Cette signalétique n’est qu’un épiphénomène de la démarche entamée par le team de recréation du lard.
- Ah bon …… d’accord, très bien.
- Nous réinterrogeons tous les paramètres à travers le concept: choix du sujet, engraissement, transport, mise à mort, travail de l’animal, présentation des pièces réfrigérées, politique tarifaire etc…
- Quel est ce concept ?
- L’angle d’approche est celui de l’oeil du cochon, nous réinvestissons l’auge si je puis dire.
- Un sacré programme. Vous avez changé la technique de mise à mort ?
- Nous restons dans le cadre réglementaire. Cependant l’approche est différenciée. Nous pratiquons une stratégie relationnelle incitative en préparant l’animal par 12 projections vidéo journalières de scènes rituelles d’abattage dans différentes parties du monde. Ces projections sont silencieuses. Le sujet finit par accepter sa destinée par logique déductive. Cela prend à peu près le temps de l’engraissement ce qui démontre la validité de la démarche.
- C’est génial !
- Vous avez raison. La prise en compte de ce paramètre fondamental par l’animal évite le stress de l’affrontement final très néfaste au lard contemporain.
- Utilisez-vous d’autres méthodes de suggestion ?
- Des stimuli auditifs hebdomadaires par l’émission de cris de truies égorgées si c’est un mâle, et inversement. Par ailleurs je procède à une mise en abîme en présentant moi-même le couteau au moment de la nutrition. Je l’ai nommé « rituel du lard », il crée un lien particulier qui permet à l’animal de réinvestir le champ de ce que lui révèle le bourreau.
- La méthode va faire date.
- L’étonnement du début est vite remplacé par une acceptation globale et un désir d’adhésion au dispositif vécu comme un « work in progress». Il y a de plus en plus d’adeptes du lard contemporain.
- Je me réjouis. On a trop tendance à penser que le public se révèle incapable de déceler une démarche d’avant-garde.
- L’avant-garde ne se décrète pas, elle se vit. Respectons le public, il s’y connaît plus qu’on ne croit en lard. L’œuvre se fait à trois : le cochon, le couteau et le public.
- Et vous ? Vous êtes l’artiste si je puis dire.
- Je suis le couteau. Pour l’animal je suis le couteau, n’oubliez pas, le principe directeur est de se placer du point de vue du cochon.
- Bien sûr. Bon, ben je vais en prendre 400 g.
- Cà nous fait 486 € et avec çà ?
- Heu….mettez-le moi de côté je passerai en revenant de chez le boulanger.


Incongru - 2008 - 146 x 73 cm