lundi 14 décembre 2009

Cicéron


Noble assemblée, je m’adresse à toi car les libertés prises par cet homme sont excessives. Chacun sait combien j’ai respecté le choix de le hisser à la tête de notre peuple et combien je me suis tu dès la première minute alors qu’il noyait sa victoire dans des agapes grotesques où la vanité le disputait à l’ambition. Là se sont prises des décisions qui obèrent notre puissance publique et fragilisent les fondements mêmes de la nation.

Plutôt que de reconnaître les erreurs de ce premier élan il a choisi de corrompre la société toute entière pour lui faire accepter ces choix. A chacun il a donné prébendes et faveurs afin de cacher son absence de vision. Dans cette assemblée qu’il laboure sans vergogne il a trouvé des appuis inattendus capables de porter ses désirs. Rares sont ceux qui ont lubrifié le corps social à ce point afin de faciliter l’intromission d’une lignée, fût-elle issue de couches différentes.

Quand redresserons-nous le front pour faire cesser ces abus? Jusqu’à quand accepterons nous que nos armées subissent des revers inutiles ? Jusqu’à quand nos ports recevront ils ces navires gorgés de richesses qui profitent à la puissance d’argent alors que le peuple se trouve incapable de jouir de leur cargaison? Cet homme vend le travail au plus offrant et bientôt tout aura été vendu.

Que dire du spectacle offert lorsqu’il se prend à rêver d’une puissance que nos armes et notre diplomatie ont perdues? Que dire de sa façon de dépenser l’argent que nous lui octroyons au nom du peuple, que dire de cette façon de monter sur l’Aventin, que dire de cette manière de descendre dans l’arène seulement entouré d’une garde prétorienne ?

Il y a là un aveu d’impuissance à juguler les maux qui nous assaillent que seules de nouvelles promesses peuvent occulter. Cet homme ne sait plus quel chemin emprunter.

Je vous demande noble assemblée de réfléchir au pouvoir que vous lui donnez. Ne laissez pas la facilité, l’ignorance ou la paresse vous porter pendant que d’autres travaillent dans l’ombre à une tâche de destruction de ce que nous avons bâti ensemble. Ne donnez plus votre accord sans réfléchir longuement, n’acquiescez plus sans penser à vos propres enfants et aux sacrifices qu’il faudra consentir pour qu’ils puissent vivre libres.


Cicéron – Lettre aux Romains


Puis Cicéron s’en fut à L’Estaque où il aimait se retirer dans sa villa au dessus de la mer. Fixait-il depuis sa terrasse le même point de la baie que Cézanne devait un jour nous faire admirer ? Et avec lui Marquet, Derain, Friesz, Braque, Ambrogiani … et tant d’autres. Comme eux sans doute Cicéron aimait se laisser envahir par la lumière blanche de Méditerranée.


lundi 24 août 2009

Painting in Marciac

"Rencontre sans préalable" a commencé par une valse Robert a empoigné sa cavalière et lui a fait visiter le jardin les autres ils disaient rien mais zétaient pas trop contents "Pourquoi elle et pas nous" ils pensaient et puis à la fin ils sont quand même venus avec tout le monde voir les peintures dans la galerie

ensuite les jeunes zikos de Marciac ont débarqué au milieu de la fête et ont fait un boeuf bien persillé c'était après la danseuse buto nue sous son imper qui ne voulait pas qu'on fasse des photographies de son corps pourtant on aurait eu le temps car le buto c'est très lent pour vous donner une idée de l'affaire je dirai qu'elle était à peine plus rapide que l'autre copine de Robert qui a tenté de se tirer par un bel après midi et qui s'est faite choper par Saty qui lui a dit "Pourquoi tu veux partir l'expo commence tout juste on va passer 15 jours ensemble" faut dire que Saty quand elle t'entreprend tu sais pas si c'est à la carte ou au menu



et moi j'avais trouvé un coin peinard au frais sur les tommettes avec mon chapeau de festivalier à la noix sur la tête et je ne pensais pas que dès mon départ de cet endroit je me trouverais confronté à un crocodile géant en train de surveiller d'un oeil torve les mariages africains d'un samedi bordelais



Oeuvre de Guillaume Renou - Bordeaux - 2009

ni que ce fou furieux laisserait de telles marques sur ce paysage d'errance où nous nous sommes baladés plusieurs jours en rencontrant de drôles de gens en train de faire de drôles d'activités pour essayer d'échapper à la grippe A qui envahit les moindres replis du néo frontal grâce au travail opiniâtre des médias

"J'en tiens un ! " - 2009
cybachrome contrecollé alu - 2009 - 4,30 x 2,80 m



"Pour la vie" - 2009
Technique mixte : métal retourné à la main, ornementation végétale


Guerre et paix (1943 - 2009)
techniques mixtes - intervenants multiples

vous l'aurez compris j'ai lu "Zone" de Mathias Enard cet été il fait des phrases de 16 pages j'adore on se perd on rebondit on se retrouve çà coule tout seul il suffit de s'y habituer.


"C'est fini" - 2009
cybachrome contrecollé alu 4,30x 2,80m

mercredi 22 juillet 2009

Torquemada

Torquemada était un joyeux drille qui adorait manger un poulet rôti dès mâtines.
Il fut nommé Inquisiteur par le Pape en 1482. Après une mise en jambes en Castille et en Aragon il entreprit la mise au pas de « l’Andalousie heureuse » (c'est-à-dire avant la culture intensive du poivron) où cohabitaient les trois religions monothéistes. Aux juifs et aux musulmans rassemblés sur la place un beau matin bleu pale de février comme en réserve le sud, il tint le discours suivant :
« Mes amis,
Leurs gracieuses majestés Isabelle et Ferdinand sont heureuses de compter deux peuples aussi industrieux, brillants et travailleurs que les vôtres. L’Espagne dans sa grande bonté et par la grâce du Seigneur est prête à vous garder sur son sol. Pour cela il vous suffit de devenir de fervents chrétiens. Ceux qui refuseront, devront partir. Aux autres nous donnerons la place qu’ils méritent. Ah, un dernier point : si vous choisissez de partir vous nous laisserez vos biens. Voilà, je vous dis à dimanche, à la cathédrale, pour un baptême collectif. Gloire à Dieu au plus haut des cieux »
Les musulmans se réunirent illico et les juifs dix minutes plus tard non sans avoir débattu de l’opportunité de tenir une réunion. Le dimanche la cathédrale était bondée. Torquemada monta en chaire.
« Mes frères, je peux maintenant vous nommer « mes frères », Dieu se réjouit de vous voir aussi nombreux en ce lieu. Il m’a cependant demandé d’éprouver votre foi et de m’assurer que ce ne sont pas des considérations vénales qui vous ont menés à la vérité. Je vais passer parmi vous et désigner ceux qui éprouveront la question ».
Ainsi fut fait. La peste brune étendit son ombre et les bûchers furent dressés au milieu des villages où s’arrêtaient les inquisiteurs. Le matin on jugeait après que la population dans sa grande sagesse eut désigné ceux qui éventuellement pouvaient être susceptibles de ne pas…, l’après midi on rôtissait des marranos, des moriscos et quelques sorcières pour faire bon poids. Et puis on se lassât, les rôtisseurs dirent : « le métier fout le camp, ya plus rien à saisir ». Et ils rentrèrent chez eux en grand nombre pour se remettre à la culture du poivron.
- Maman, me revoilà.
- Dieu te bénisse mon fils.
Torquemada était un joyeux drille qui adorait manger un poulet rôti dès mâtines. (refrain)

TORQUEMADA - 2008 - 195 x 130 cm

jeudi 2 juillet 2009

Loire


La Loire est à l’origine de la schizophrénie météorologique, une pathologie qui affecte un grand nombre d’entre nous. Le truc fait de tels ravages à chaque bulletin météo que je décidai un jour de vérifier par moi-même ce « gris au nord » et « bleu au sud » qui me scie la tronche depuis l’enfance. Tel Pécuchet au meilleur de sa forme je me plantai au mitan du pont de Chateauneuf, le regard tourné vers l’ouest, afin d’observer le phénomène. (Une bonne observation nécessite de se couler dans les éléments or la Loire coule vers l’ouest)
Je vous le dis tout net il s’agit d’un pur mensonge : le ciel ne change pas de couleur à la verticale de l’axe du fleuve. J’y revins plusieurs fois afin de confondre ces beaux messieurs (une bonne observation nécessite des recoupements) C’est confirmé: hiver comme été, matin ou soir, par calme plat ou grand vent et même en regardant vers l’est le ciel ne se déchire pas à cet endroit là.
Désabusé par ce constat - j’aime la précision dans l’observation - je me penchai au dessus du parapet. La Loire m’a offert dans son flot des bribes de pêchers en fleurs, du vert tendre de prairie et des ocres de tuffeau. Je l’ai vue monstre de douceur avec de la douceur autour et des châteaux d’opérette qui veillent sur des jardins géométriques. Oh bien sûr elle est grosse l’hiver, fantasque au printemps et montre ses jambes lorsqu’il fait chaud mais elle est bonne fille et la douceur domine dans cette lumière capturée entre grain de pluie et brume de chaleur. La Loire ressemble à la France dont nous rêvons. Généreuse, subtile et douce. Celle que nous décrivons aux visiteurs étrangers incrédules.
Et puis un canard est passé sous une arche avant d’amerrir sous mes yeux. Ah si Arthus Bertrand pouvait s’intéresser au vol du canard souchet plutôt qu’à celui de son hélico dont la compensation carbone a permis la reforestation de la Corse, cela nous éviterait de nous taper « Home » en VO. Cette histoire de compensation pue l’arnaque.
LOIRE - 2009 - 195 x 130 cm

mardi 2 juin 2009

Zanzibar

Il sert dans un bar qui s’appelle « Le Zanzibar » et porte un panama dont la paille laisse passer des pointes de soleil qui se mélangent à ses taches de rousseur d’anglais fripé comme une « pink lady » oubliée au frigo. Il n’a pas de chaouch, un fait rare à Tanger, et à partir de 17 heures Paul délaye au gin ses yeux bleus.
Sur un mur il y a des cartes postales, ou plutôt un mélange de photos, de cartes et même d’enveloppes aux timbres exotiques, une sorte un album personnel qui ressemble à un « work in progress » et parle d’un même endroit : «Stone Town». L'une des cartes est punaisée à l’envers. Voici ce que l’on peut lire :


Dear Paul,

la nuit est plus grande que la mer. Les papillons abreuvés aux flaques dorment dans les girofliers pendant qu’une mère console son bébé - koulou, koulousaï mama, koulou koulousaï – Habid s’est tu, son appel ne retentira qu’à l’aube. Alors les hommes prieront et les papillons ouvriront leurs yeux à facettes. Les nuages reviendront. Le bruit. Le ciel sera violet et les sacs de jute tomberont au fond des cales.
Cet après midi j’ai observé le chargement assise sur une caisse. Les hommes veillent à ne pas manquer la planche. Si l’un entonne un taarab un autre lui répond sous le ciel jaune – aujourd’hui presque deux heures d’un chant magnifique – malgré la poussière qui bouche l’air. Le rythme est lent et même les boutres tirent sans force sur les amarres jusqu’au courant de renverse qui arrive à l’heure de la pluie. A la fin du travail ils se prosternent dans la poussière qui retombe. Je me fais petite, çà m’impressionne tous ces grands gaillards noirs qui s’adressent en haut avec la tête en bas. Vivent-ils à genoux ?
Les papillons ont bu, la nuit tombe sur Zanzibar, viens.
Zelda

On se connaît maintenant alors je dis :
-Hey, Paul, what about Zanzibar ?
Il regarde autour de lui, l’air à la fois perdu et serein.
- Well…clou de girofle.
Alors on rit et puis il dit très sérieusement :
- Fais-moi un tableau.

Zanzibar - 120 x 60 - acrylique sur toile

Lien pour l'expo de Royan:
http://www.galeriefpl.fr/visitevirtuellegalaup1/visitegalaupsalle1.html

lundi 20 avril 2009

Le dimanche ...

Le dimanche les français marchent. Et ils causent :

- T’as fait quoi avec tes Merkel finalement ?

- J’ai vendu, ils étaient trop sur les machines – outils.

- Et les Zapat ?

- J'ai perdu un max, j’ai trop gardé, c’était à fond sur l’immobilier. Tu vois le truc…

- ouais … çà fait ch… on sait plus quoi prendre.

- Va sur les émergeants. Le Lula c’est pas mal, bien diversifié, ou bien le Chavez, il est indexé sur le pétrole. En ce moment c’est pas top mais çà baisse jamais totalement.

- Tu m’avais fait prendre du Saddam.

- Ouais c’est pas pareil. Sinon tu prends du Brown.

- Arrête, le Brown çà vaut plus rien.

- Joue là fine, juste des allers-retours. Ils en ont besoin jusqu’à l’enterrement du Maguy. Et puis j’ai repris des Loong à Singapour.

- C’est bon çà ?

- Comme un livret A avec un rendement monégasque.

- Bon sang, comment on fait pour en avoir ?

- Je demanderai à mon agent. Il ne te comptera pas de frais d’entrée mais il t’obligera à prendre des Sarkos.

- Ah non! J’en ai un max et ils sont carrément démonétisés depuis que l’Obama remonte

- Je t’avais dit de pas y aller.

- J’ai pas été le seul.

- Ils vont inonder le marché et le transformer ensuite.

- C’est çà dire ?

- Dans un premier temps ce sera un produit dont tu pourras intégrer la valorisation à tes actifs. Cà va cartonner. Ensuite ils vont le découper en tranches et les mettre avec du Berlu, du Medve et puis je sais plus quoi. Ah oui, du Boutef.

- Mais çà marchera jamais !

- Tu rigoles, le levier est excellent C’est vrai que le Sarko est surévalué par rapport au montant de la dette et que le marché va réclamer de la solvabilité. Mais on lui répondra pétrole pour la base, gaz pour le fun et médias pour pousser.

- C’est pas con.

- Enfin, tant qu’il y aura du crédit sur la place.

- Mince alors, du Berlu, j’y crois pas. Cà va s’appeler comment au fait ?

- « Royal Jersey »

- Putain çà pète. Je crois que j’en prendrai.

- T’es même prêt à en bouffer en tranches du Sarko ?



mardi 17 mars 2009

Izoard

C’est un repas. La conversation porte sur le temps qui passe, l’âge. Les effets de l’âge. Chacun y va de son anecdote. Une convive dit :
- Depuis que mon père a sympathisé avec le mari de sa maîtresse il va nettement mieux.
- Pardon ?
- Hé bien oui, ils sont devenus super copains, ils
font plein de trucs ensemble. D’ailleurs elle s’en plaint amèrement.
- Il a quel âge ton père?
- 82
- Faut dire que c’est un gaillard, rajoute son mari. A 75 ans il montait encore l’Izoard en vélo.
- L’Izoard …

Là-dessus çà commence à discuter de la différence entre faire du vélo et de la bicyclette. Je perds un peu le fil. Le petit vélo continue son tour de table sans que je le suive vraiment. Il est question de ceux qui se rasent les mollets, de la nutrition pendant les périodes d’entrainement, de « Tiens, l’été dernier on a fait le circuit des trois cols, hé bien tu me croiras pas mais …» et puis « il y a un dénivelé énorme » et encore « j’ai cru que j’arriverai jamais là haut »
Je reprends du blanc. Finalement je ne conduis pas. Le truc arrive devant moi.
- Non, non, je suis plutôt bicyclette.

Tu parles comme çà les intéresse un mec qui pédale en regardant les champs de colza. Ils repartent sans moi, vazyquejegrimpe.
- Non, mais je t’assure…. D’ailleurs elle adore…


Et puis, je ne sais pas pourquoi le petit vélo est de nouveau là, au rebord de la table, prêt à basculer. Mais il se reprend et malgré un équilibre instable slalome entre les assiettes et les verres avant d’aller garer sa roue avant entre les dents d’une fouchette. Sauvé….
- Au fait, Alain, c’est quoi tes projets ?
- Hein ? Ah oui, hé bien je vais prendre une maîtresse.


Prochaine expo :

« Paysage 109 »
Galerie Franck Pierre Lairaud à Royan du 20 mai au 20 juin. Vernissage le 23 mai. Que tous ceux qui aiment les huitres réservent leur week-end de l’Ascension pour venir dans les Charentes.

Paysage 109 - 2009 - 162 x114 cm

mercredi 25 février 2009

"La Gwadloup se tan nou, la Gwadloup se pa ta yo"

Mars 1967. J’habite dans l’île depuis ma petite enfance. J’ai un peu plus de 15 ans et je fais du stop.


La voiture bleue marine s’arrête, une Opel Admiral dernier modèle. Le type me dit :

- Monte, monte, je te dépose.

- Merci je vais à Basse-Terre.

La bagnole est top. Il y a une antenne électrique et même un allume-cigare que le béké s’empresse de me montrer. Le chrome brille dans tous les coins. On roule vitres ouvertes, il fait 34 à l’ombre. On s’enfonce dans le vert doux des cannes à sucre. Il s’arrête à nouveau pour prendre un autre auto-stoppeur, un noir d’une trentaine d’années.

Nous voilà tous les trois, comme un raccourci de Guadeloupe, sur les fauteuils en skaï crème. Le « blanc-pays » au volant, à côté de lui un jeune « zoreille » et à l’arrière un noir.

Notre chauffeur, un peu rougeaud mais très cool avec son bras à la portière, en profite pour entamer une longue tirade sur l’unité nécessaire entre toutes les « forces vives de l’île ».

- C’est la société même qui est bloquée. Ah, tiens regardez, ces terres là sont à moi….

De temps en temps il demande son avis au noir qui reste le plus évasif possible. L’autre insiste. Le noir finit par concéder que de débloquer le système ne ferait pas de mal. Je sens qu’il se retient. Le béké le sent aussi. On longe une plage.

- Avec les atouts que nous avons pourquoi çà ne décolle pas ? Et toi tu en penses quoi ?

- Je crois qu’on pourrait faire mieux, vous avez raison.

- Comment tu t’y prendrais pour faire mieux.

Je regarde le noir d’un air désespéré. Viens à mon aide mon vieux, moi aussi j’ai envie de descendre. Mais il reste 20 bornes alors on se tait tous les deux. L’autre s’en fout, il enchaîne :

- Alors vous n’avez pas de solution. Heureusement que nous comprenons ce pays, c’est normal, c’est nous qui l’avons façonné.

Le noir se recroqueville à l’arrière. Encore quinze bornes. Une voiture conduite par une grosse femme antillaise nous double en catastrophe et fait une queue de poisson. Le béké freine pour éviter l’accident, klaxonne et se met à brailler des insultes en créole. Je dis pour le calmer :

- Bien joué, ce n’est pas passé loin.

- Tu as raison, il faut toujours être vigilant. De toute façon on ne peut pas leur faire confiance, ces gens là auront toujours deux siècles de retard.

Je disparais dans le siège en faux cuir. Le béké réalise l’énormité du propos et dit :

- Je ne dis pas çà pour vous mais il faut reconnaître que …

Le noir crie :

- Déposez-moi s’il vous plait, je dois voir une personne par ici.

La voiture stoppe, le noir descend sans un mot. Encore cinq kilomètres. J’ai honte, j’aurais du descendre moi aussi. Le chauffeur me balance :

- Tu n’es pas d’accord, hein. Mais qu’est ce que tu crois, si on ne les tient pas on peut faire la valise.

- ….

- Il faudra bien que tu prennes position.

J’essaie de me concentrer sur la dernière descente, sublime, qui mène à la ville. On a l’impression de glisser dans la forêt jusqu’à la mer. Je lance :

- Je ne crois pas que vous avez deux cents ans d’avance.

Il freine brutalement et me largue en bord de route. Plus que deux kilomètres. Un cumulonimbus fait son enclume dans le bleu.



Deux mois plus tard éclateront les émeutes de mai 1967, d’abord à Basse-Terre puis à Pointe- à-Pître. L’île sera bloquée plusieurs semaines. Il y aura 130 morts du fait de la répression policière.

42 ans plus tard l’île est à nouveau bloquée. Elle a inventé la lutte contre la « profitation » néologisme qui décrit magnifiquement bien le monde actuel. Les syndicalistes de LKP qui mènent le mouvement tentent de faire sauter le verrou sociétal en même temps qu’ils cherchent à obtenir de meilleures rémunérations. Le souvenir de 1967 est très fort en Guadeloupe dans la génération qui est aux manettes. Et si vous croyez que les choses ont changé, je vous invite à aller sur :

http://www.bondamanjak.com/index.php?option=com_content&view=article&id=6430:voulez-vous-porter-plainte-contre-alain-h-despointes-&catid=28:a-la-une

Vous y entendrez parler de préservation de la race.


* « La Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux »

mardi 13 janvier 2009

Zambèze

Le monde des fleuves a ses hiérarchies : longueur, débit, tout le tremblement géographique. Mais il y a un classement plus subtil qui dépend de chacun de nous. Pour ma part je trouve que la Garonne est gironde, l’Euphrate mystérieux, le Niger magique, le Nil hors concours et que la Seine, fort modeste, se la pète à peu de frais avec son reflet de Notre Dame. Le Zambèze, lui, fait du trapèze, c’est son luxe. Cette brève seconde où le flot capture un éclat du gros cul bleu du ciel avant de basculer dans ce que nous nommons chutes Victoria. Oui Zambèze, tu fais l’acrobate, de la haute voltige, presque un meeting aérien à toi seul. Tu es vertical.

Zambèze – 2009 – 195 x 130cm – acrylique sur toile

Je t’ai peint en (ré)écoutant Lady Smith Black Mambazo. Je ne parle pas le Zulu mais je parie que certains chants parlent de toi, de ta puissance, de ton Afrique.



Je t’ai peint en pensant aux hippopotames qui sous leurs tronches sympas et leurs bâillements décontractés piétinent sans frémir le malheureux qui se trouve sur leur chemin lorsqu’ils s’éloignent de l’eau.


10 h 12 – mangerai bien quelque chose moi

Je t’ai peint en pensant à la terre rouge du Zimbabwe, une des plus riches du continent, que la folie d’un homme, Mugabe, a réussi à rendre stérile. Il faudrait l’amener un soir près de la rivière là où les hippos se promènent à la fraiche.

- « Mets toi là Robert, on revient dans un moment»

Ah, se débarrasser des tyrans. En voilà un vœu pour 2009.