mercredi 1 décembre 2010

Pas de deux


Si vous regardez par la fenêtre cet après midi vous aurez du mal à imaginer que l'affaire s'est nouée par un brûlant après midi de juillet. Ce jour là nous avons visité la galerie, marché dans le parc du château et profité de l'ombre d'un séquoia centenaire. Un vrai, comme en Oregon. Pourtant nous sommes à Villers lès Nancy où la ville entretient depuis plusieurs années une belle galerie en dessous du château de Mme de Graffigny.
C'est là, depuis le 26 novembre et jusqu'au 19 décembre 2010, que Jean Yves Gosti et moi même dansons notre pas de deux.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Gosti est sculpteur. Il travaille la pierre en taille directe et le métal. Quand à moi je continue à peindre autour des mots de la série Palabras.
Merci à tous les amis présents au vernissage, et aussi à tous ceux que nous ne connaissions pas. Il y a eu des discours, du vin et même du jus d'orange. Merci pour les mots très élogieux du Maire et de la Conseillère Régionale.



















photos supplémentaires sur le site de la ville de Villers lès Nancy
http://www.villerslesnancy.fr/fr/galaup-et-gosti.html



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lundi 13 septembre 2010

La Main

« La main invisible du marché » conduit un autobus doré et siffle les filles sur son chemin. Elle prend ses passagers à l’aube à Tokyo, fait halte dans des chiottes luxembourgeoises histoire d’être propre pour le lunch à Londres avant de repartir pour l'apéro à New York et laisser ensuite dans son Est les lumières de la grande Californie. Elle fait çà H24. Parfois elle en a marre et met tout le bastringue en pilotage automatique. Le bus traverse alors les cieux sans changer de cap pour rejoindre ces étapes obligataires. « La Main » - tout le monde l’appelle comme çà - en profite pour aller se montrer dans les recoins de son empire.

Les gens rêvent de la voir, ce ne sont pas les images qui manquent sur internet, mais en vrai ! Certains ont des T shirt siglés « La Main » ou bien « J’aime La Main » ou encore avec une main dans sa position favorite, légèrement inclinée en avant, doigts écartés tendus vers le haut et la paume visible. Elle se poste à trente mètres de hauteur. Dès son apparition ils posent tout et crient :

- la Main, la Main est là !!!

Ils téléphonent à leurs potes « Viens, y a La Main !». Les bagnoles se garent en vrac et des familles entières la montrent du doigt : « Elle est belle, t’as vu comme Elle est grande ! ». Certains prient, d’autres dansent, rient ou pleurent. Lui présentent leur enfant à bout de bras. La Main est source de bonheur pour les peuples. Les mêmes scènes se déroulent partout. Bien sûr certains ne sont pas d’accord mais ils la ferment, dénoncer La Main est dangereux.

Elle est là, juste au dessus de moi. Tous les gens qui traversent le parking s’arrêtent : « La Main !». C’est l’attroupement, j’essaie de m’esquiver. Un type gueule : « Pourquoi tu pars ? » Je m’immobilise. Il continue :

- Lui, il ne croit pas en La Main !

Cà gronde, çà râle « salaud, faut croire ! » Une femme avance et lève les bras. Son attitude et sa robe noire impressionnent la foule.

- Quels sont tes arguments pour ne pas croire ?

- ….

- Parle, si ce que tu dis est juste La Main le saura.

- Bon, par exemple, le pétrole devrait être moins cher chez BP en ce moment.

A ces mots certains hurlent au blasphème, d’autres se déchirent les joues en disant « il a raison ». Cà commence à s’engueuler ferme. Un type dit :

- Demandons à La Main !

Les voilà qui se prosternent. A cette distance on distingue la côte de mailles en titane ouvragé qui la protège. Des diamants brillent dans certains entrelacs du métal et il y a en dessous un gant fin d’or transparent. Un couple s’avance pour poser la question :

« - Main, est-ce que le pétrole devrait être moins cher chez BP en ce moment ? »

Tout le monde retient son souffle.

Et puis un canon de 30 mm apparaît à l’extrémité de chacun des doigts de La Main qui défouraille à tout va dans la foule. En quelques secondes je me retrouve seul, debout dans l’odeur de merde des tripes à l’air. Pétrifié. La Main se retourne alors tout doucement, j’ai le temps de voir circuler dans les veines de son dos un liquide dont la seule couleur charrie la mort. Elle replie ses doigts dans sa paume, je pense qu’elle va m’écraser mais elle reste immobile. D’un seul coup son majeur se dresse droit dans l’armure en titane et elle commence à descendre vers moi.

- Putain non La Main, pas çà !

Mais elle avance toujours et je cours, je cours…..


jeudi 22 juillet 2010

Osmanthe

Parmi les questions récurrentes à propos de la peinture il y a celle-ci : comment vient l’inspiration ? Selon l’interlocuteur la formulation est abrupte ou subtile. Mais finalement la question est : Comment çà marche la tronche d’un peintre ? J’ai un exemple à vous proposer.

Il y a peu je me promène dans les jardins fruitiers de Ars Laquenexy (pour ceux qui sont de Metz c’est super, allez y vite et achetez un plantoir à la boutique en sortant.) Au milieu des allées de fleurs, d’arbres et de plantes je m’arrête devant un arbuste élégant dont un cartel indique le nom : « OSMANTHE » .

C’est la première fois que je rencontre ce mot, ou bien l’ai-je oublié ? Peu importe, dès sa lecture j’ai envie de le peindre. Nous poursuivons la ballade, je me couche sur un banc sous la deuxième lune d’hiver (allez à Laquenexy !). Une mésange bleue déchire le bleu entre deux nuages et se jette sur une chenille, repart, bave grasse au coin du bec, replonge, repart. Un vrai drone.

OSMANTHE est là, rond, vert menthe. Il serpente et il cla
que tout cela dans le même instant. Il m’échappe, je le poursuis, je fonds sur lui Je le tiens. Je vais en faire un tableau. .Je me relève avec de la bave de mot au coin des lèvres. Voici le tableau:


OSMANTHE – 2010 – 130x97 cm


Le petit arbuste ne s’est rendu compte de rien, ses fleurs ne m’ont même pas regardé. Pourquoi l’auraient-elles fait? Leur seul parfum blanc a suffi à ma capture. Bel été à tous.

jeudi 24 juin 2010

Berlin


Le département de la Moselle dispose d’un accord avec le Land de la Sarre concernant l’usage de la Saarlandishe Galerie à Berlin. Chaque année deux artistes mosellans peuvent présenter leur travail dans ce lieu agréable et très bien situé dans le quartier de Mitte, à deux pas de l’île des musées. L’exposition est soutenue par la publication d’un catalogue.

En 2010, Bernard Copeaux et moi-même sommes les bénéficiaires de ce partenariat et nous y présentons nos peintures et sculptures jusqu’au 8 août. Je vous livre ici quelques images de l’aventure commencée au cul du camion
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descente

conversation

conciliabule
pieta

ayons l'air actif

cartels au mm

l'affaire se déroule par 35° dans une grande lumière et une fois que tout est calé nous avons un petit moment d'euphorie avec Andrea, la directrice du lieu.

un peu plus on croirait que nous sommes venus faire du tourisme.

Répit de courte durée car déjà arrivent les premiers promeneurs des bords de l'ELBE


et les autres....

Alors commencent les tractations,

nous faisons des dédicaces,

écoutons des discours,

faisons des discours, Bernard remercie ses amies les vaches (Copeaux travaille à partir de bouse de vache) et je fais mes débuts en allemand. Aux dires des spécialistes, et même des autres, cela n'ira pas loin.


alors pour me consoler je bois du vin de Moselle pendant que d'autres évaluent la situation

ou méditent loin du buffet.


Bref cela a toutes les apparences d’un vernissage réussi et c’en est un fort agréable. Il se termine par une bière sur une place du quartier « français ». Mais comme toujours dans ce pays bien connu pour sa discipline force est restée à la



Les photos sont de Francis Kochert, Joëlle et Bernard Copeaux et Alain Galaup. Merci à Hélène Doub et l’équipe du Conseil Général de Moselle pour leur implication dans le montage de l’exposition, la réalisation du catalogue et les réglages, calages et autres détails qui font la réussite d’une exposition.



jeudi 29 avril 2010

Lorenzo

Pris par la patrouille juste après minuit Lorenzo ne fait aucune difficulté pour avouer sa chrétienté. On le place dans la geôle commune de la maison d’armes. Les soldats s’amusent un peu avec lui, surtout au moment de la relève où ils viennent lui labourer les flancs à la pointe de lance :

- De la bonne viande saignante ces chrétiens.
On rigole bien, il y en a même un qui urine sur un mur et pète un grand coup au milieu des pauvres bougres en train de cuver. Lorenzo prie. Le sous off gueule. - Ne le tuez pas maintenant on doit le présenter au Gouverneur!

Vers midi le Gouverneur arrive dans le prétoire accompagné de son mignon. On lui présente Lorenzo.

- On me dit que tu es chrétien.
- Jésus est mon dieu.
- Quel est son pouvoir ?
- L’amour est sa force.

- Explique-moi çà.

- Oui l’amour pour ceux qui n’ont rien, qui ne sont rien. Ils seront les premiers au royaume des cieux.

- C’est un vaste tissu d’âneries, ton dieu qui a un royaume n’a pu échapper aux hommes.
- il s’est incarné pour nous racheter par son sacrifice.

- Dis-moi chrétien, tes affaires ne semblent pas très bien marcher malgré ce dieu d’amour.
- Au contraire beau seigneur, ce que tu envisages de faire de moi renforcera encore son pouvoir sur les âmes.

- Comment peux-tu en être certain ?

- A cause du feu intérieur qui dévore mon coeur.

- Le feu dis-tu, hé bien demain après midi on allumera le contre feu.

A ces mots le mignon éclate d’un rire gras et échange un long regard enamouré avec son amant. Déjà on amène Lorenzo et les ordres fusent pour qu’un bûcher soit dressé, les crieurs courent la ville, dans les tavernes les hommes braillent à la gloire de Rome, le vin coule et des filles dansent sur les tables. On déguste à l’avance cette séance de barbecue, d’estrapade et de décapitation. Ah la douce époque où l’on ignore encore le bombardement depuis 10 000 mètres. Lorenzo achève de convertir ses futurs compagnons de supplice et ils partent en chantant à la mort.
A l’heure dite le Gouverneur parait un instant à la fenêtre du palais et d’un geste méprisant ordonne d’expédier. Puis il disparaît.


Tableau 17° siècle – anonyme – Eglise de Bouilh Devant en Bigorre.

Commencent alors les cris et lamentations des malheureux au milieu des cris de haine de la foule. Au milieu de ce délire Lorenzo que l’on a commencé à griller déclare :
«Je suis assez rôti de ce côté. Faites moi rôtir l’autre »
Au même instant le mignon se retourne et réclame aussi que l’on s’occupe de l’autre face. Un étrange concert de cris, hurlements et soupirs s’envole vers les nuages. Et les nuages parlent entre eux :- Quel est ce bruit ?
- C’est le fracas des hommes, il parait que là haut un dieu reconnait les siens.


Et les nuages s’effilochent dans le bleu. Les nuages sont comme les martyres, ils bossent pour l’éternité.


Lorenzo - 2010 - 130 x 97 cm - acrylique sur toile

Lorenzo fut martyrisé en 258 à Rome. En 1557, soit mille deux cent quatre vingt dix neuf ans plus tard (1299 ans !) Philippe II d’Espagne ordonna la construction de l’Escurial en forme de gril en l’honneur de Lorenzo. On ne sait jamais ce que les puissants sont capables de faire avec des martyres. Quant à moi je me suis juste demandé s’il était encore possible de faire un tableau d’église.

lundi 1 février 2010

21 grammes

Un certain Mac Dougall a émis en 1907 une théorie selon laquelle l'âme pèserait 21 grammes. Cette idée jamais prouvée est très poétique et puis c’est pratique 21 grammes, tu le cales facile derrière l’oreille et tu oublies.
A mon sens il manquait un maillon important dans la réflexion de cet homme : où vont ces âmes ? Bon, je vous entends dire que c’est évident, certaines vont au paradis et d’autres en enfer. Mais alors le poids des péchés est nul ? Un peu fumeux la théorie de Mac. Enfin on s’en tape, je sais où va l’âme. Elle s’échappe du corps la nuit et allume une étoile dans le ciel. Ce n’est pas démontré non plus mais au moins on se sent utile.
L’autre soir, dans les caraïbes, 4 tonnes d’âmes ont traversé la nuit et ont allumé une galaxie entière. Les quimboiseurs sont sortis de la poussière immonde, le visage blanc comme lors d’une cérémonie vaudou. Ils ont crié :
- gadé moun là an ciel, peupl en nou ka dansé adan zétoil
(regardez les gens dans le ciel, notre peuple danse dans les étoiles)
Les survivants ont levé les mains pour remercier Dieu, ont écarté les bras en croix, se sont agenouillés, on connaît le poids d’une âme à Haïti. On sait la nuit noire et l’on sait allumer les étoiles. Si j’étais Haïti j’aurais un drapeau noir avec une étoile noire gardée par des chiens noirs. Un drapeau pour conjurer la noirceur de l’encre de la dette imposée par la France pendant 150 ans, la noirceur où ont tenté encore une fois de se cacher ces pauvres nègres redevenus « marrons », pourchassés par les chiens des américains revenus aux affaires en 1915 avec cette ignoble certitude bien pensante blanche, chrétienne, civilisée et civilisatrice. L’occident n’a jamais accepté l’idée de cette fierté noire, de cette étoile noire. Un drapeau pour conjurer la noirceur des dictateurs, des « chimères » et des « macouts », les coups de cul de la terre et le vent d’automne qui arrache les derniers arbres. Un drapeau noir peint par Jean Michel Basquiat* de retour de son étoile noire. Dessus il poserait sa couronne blanche.
Le drapeau de la fierté flotterait alors sur l’île pour toujours. Mais à quoi bon rêver ? Que pèse Haïti dans le bastringue que l’on déballe sous ses yeux ébahis ? Que pèse Haïti dans le politico-militaro-diplomatico-pétroleo-narcotico charity bordel business planétaire ?
Haïti est une âme, Haïti pèse 21 grammes.

21GRAMMES – 2010 – 162 x 114 cm
* Le père de Jean Michel Basquiat était haïtien.

samedi 16 janvier 2010

Lard contemporain


Mon charcutier a mis une affiche dans sa vitrine : « Lard contemporain ».
Intrigué, je suis entré pour en savoir plus. Il m’a dit :
-Nous réexaminons la relation dedans dehors.
-Pardon ?
Il a poursuivi, avec cet air des gens obligés d’expliquer:
- L’approche du lard contemporain que nous pratiquons nécessite une remise en cause des process de production et de distribution. Cette signalétique n’est qu’un épiphénomène de la démarche entamée par le team de recréation du lard.
- Ah bon …… d’accord, très bien.
- Nous réinterrogeons tous les paramètres à travers le concept: choix du sujet, engraissement, transport, mise à mort, travail de l’animal, présentation des pièces réfrigérées, politique tarifaire etc…
- Quel est ce concept ?
- L’angle d’approche est celui de l’oeil du cochon, nous réinvestissons l’auge si je puis dire.
- Un sacré programme. Vous avez changé la technique de mise à mort ?
- Nous restons dans le cadre réglementaire. Cependant l’approche est différenciée. Nous pratiquons une stratégie relationnelle incitative en préparant l’animal par 12 projections vidéo journalières de scènes rituelles d’abattage dans différentes parties du monde. Ces projections sont silencieuses. Le sujet finit par accepter sa destinée par logique déductive. Cela prend à peu près le temps de l’engraissement ce qui démontre la validité de la démarche.
- C’est génial !
- Vous avez raison. La prise en compte de ce paramètre fondamental par l’animal évite le stress de l’affrontement final très néfaste au lard contemporain.
- Utilisez-vous d’autres méthodes de suggestion ?
- Des stimuli auditifs hebdomadaires par l’émission de cris de truies égorgées si c’est un mâle, et inversement. Par ailleurs je procède à une mise en abîme en présentant moi-même le couteau au moment de la nutrition. Je l’ai nommé « rituel du lard », il crée un lien particulier qui permet à l’animal de réinvestir le champ de ce que lui révèle le bourreau.
- La méthode va faire date.
- L’étonnement du début est vite remplacé par une acceptation globale et un désir d’adhésion au dispositif vécu comme un « work in progress». Il y a de plus en plus d’adeptes du lard contemporain.
- Je me réjouis. On a trop tendance à penser que le public se révèle incapable de déceler une démarche d’avant-garde.
- L’avant-garde ne se décrète pas, elle se vit. Respectons le public, il s’y connaît plus qu’on ne croit en lard. L’œuvre se fait à trois : le cochon, le couteau et le public.
- Et vous ? Vous êtes l’artiste si je puis dire.
- Je suis le couteau. Pour l’animal je suis le couteau, n’oubliez pas, le principe directeur est de se placer du point de vue du cochon.
- Bien sûr. Bon, ben je vais en prendre 400 g.
- Cà nous fait 486 € et avec çà ?
- Heu….mettez-le moi de côté je passerai en revenant de chez le boulanger.


Incongru - 2008 - 146 x 73 cm