mercredi 19 octobre 2011

Canard

Au plan d’eau de la ville les canards sont peu farouches. J’en capture un, rayé de bleu roi sur les flancs. Il retrouve son calme au chaud contre mon ventre et s’abandonne. Je m’adresse à lui en ces termes:
- « Canard, connais-tu le supplice du pal qui commence si bien et finit si mal ? »

Il ne répond pas alors je poursuis :
- « N’imagine pas un exercice zoophile, il s’agit d’une expérience culinaire. Certains disent que si l’on t’embroche sans éviscération et que l’on te grille ainsi à l’étouffée dans tes plumes avec le fer qui sort par le bec tu es divin - tu vois, rien de sordide là-dedans - d’autres prétendent que l’intérieur de tes intestins mélangé à la bile nauséabonde corrompra tes chairs et que ce fiel suintera sur le métal. C’est afin de résoudre ce dilemme que je te tiens. »
Le bougre se tait.
- «Tu serais avisé de répondre douce plume car je pourrais être cruel, tuer par simple méchanceté. Il parait que tête coupée tu cours encore quelques mètres avant que le sable ne boive ton sang. Si tu le souhaites je tiendrai tes yeux clos au moment du tranché et les rouvrirai dans l’instant en levant ta tête bien haut. Tu verras ta mort. Ne frémis pas, il est des douceurs insoupçonnées dans chaque chose et observer un moment si intime c’est unique.»
Ce disant je caresse ses paupières et il s’endort.
- « Ainsi vont les peuples » murmurai-je, « tels des canards pré-pubères ils se laissent capturer, s’endorment et se réveillent quand déjà le fer les étouffe. Ils se font assassiner sous l’œil d’une caméra qu’ordonne le bourreau. Chacun regarde ce qu’il advient de l’autre et croit y échapper. »
Il soupire d’aise.
- « Dessille les hommes! Empêche leur tête de rouler sur un matelas de billets, crains le silence qui m’obligerait à passer à l’acte, parle!»
C’est alors que cet oiseau s’adresse à moi :
- « Nous canards nous taisons par honte. Nos glissades sur l’eau vous font rêver et oublier vos culs merdeux dont l’odeur n’est rien comparée à la puanteur de vos têtes. Sais-tu à quoi ressembleraient nos vies enfin libérées de votre engeance?»
Sous mes yeux ébahis son plumage devient blanc et ses ailes immenses, il m’échappe et se pose en douceur sur la rivière. Près de son œil déjà grossit une tache rouge qui s’étend dans le blanc et coule et se mélange à l’eau rougie à son tour. Cette chose magnifique remplit l’espace.
Un cygne grimpe sur la berge et se couche sur l’herbe rase. Le ciel est bleu.

FUCKTHETRASH - 2011 - 162 X 114 cm