dimanche 7 décembre 2014

Turner




Hier soir je suis allé voir le film sur Turner. Il est magnifique. N’attendez pas  du peintre que je suis qu'il dise autre chose. On y découvre un homme au caractère bien trempé et un bourreau de travail, la reconstitution d’une Angleterre à la Dickens, les costumes, l’accent cockney ou la douceur du Kent, rien n’y manque. C’est un régal pour l’œil et l’esprit. Il y a dans ce film une scène superbe dans la galerie du peintre, attenante à son atelier londonien.

Un richissime homme d’affaires propose à Turner de lui acheter la totalité de sa production. Passée, présente et à venir. Il offre une très belle somme. Turner refuse. Il dit que c’est de toute façon impossible car il a légué son œuvre à la nation anglaise et  veut que le public puisse la voir gratuitement. Le financier s’en va, dépité.


J’ai vu ce film en VO au Caméo  Ariel de Metz qui propose depuis 15 ans une programmation remarquable, mélange de films tous publics de qualité et de films plus confidentiels. Ce cinéma  va disparaitre. Notre municipalité vient de signer (?) va signer (?) un accord avec le groupe Kinépolis.  En échange de la rénovation de l’autre cinéma du centre – le Palace -  ce groupe récupèrerait  la programmation  du centre-ville en plus des blockbusters et comédies de grande audience projetées dans ses multiplex.Il se retrouverait de facto en situation de monopole. Autant dire que si l’affaire aboutit nous allons perdre tout un versant du cinéma dans un laps de temps très bref.

Je repense à Turner. S’il avait accordé le monopole de son œuvre à cet acheteur,   la Tate Gallery  n’existerait pas. Quelle richesse collective perdue ! Imaginer Londres sans la Tate m’est aussi difficile qu’imaginer Metz sans une programmation de cinéma digne de ce nom.


Ne serait-il pas plus judicieux de « léguer » le Palace à la culture cinématographique  plutôt qu’au monopole ?  Continuer d’offrir un espace de diffusion  à des cinéastes du monde entier, réunis dans  une programmation intelligente, serait   un choix aussi cohérent que le  rassemblement de l’œuvre de Turner à la Tate. 


Aller au centre voir un film en VO - entendre la vraie  voix de Sean Penn ou de Scarlett Johansson , des éclats de rire coréens, des colères africaines -  boire ensuite une mousse avec les copains, reluquer les  vitrines, se réjouir de ces bandes de garçons et de filles que l’on croise encore le soir dans les rues, fait partie des plaisirs non monnayables, des étincelles qui font vibrer une ville.


 The great Western Railway - 1844 - 122 x 91  cm

 

lundi 13 octobre 2014

ouest



Depuis 2008 ma peinture s’enroule autour du mot. Chaque tableau porte un mot-titre différent.

Il y a eu les péchés capitaux, des fleuves, des personnages, des adjectifs, des substantifs, de l’anglais, de l’espagnol. Une recherche tous azimuts pour  faire vivre une idée simple : peindre un mot comme l’on peindrait un portrait ou un paysage.

Afin de poursuivre j’ai décidé de réaliser plusieurs toiles sur un même mot. Acceptera t’il différentes approches picturales, des rendus multiples, plusieurs formats ? Aura t-il une palette dominante ou s’accommodera-t-il de  ce qui est sur ma table ? Sera-t-il à ma main ou indocile ?

J’ai choisi OUEST. Il  semble propice à la tentative. C'est un mot  ouvert. Sa géographie incertaine et mouvante ne saurait tenir en une seule toile. La douceur de sa sonorité, que j’entends bien ronde, pourrait guider ma main vers d’autres gestes ou l’usage d’autres outils. 


                                              
    ouest - 162 x 114 cm - 2014

OUEST a t’il un début et une fin ? Est-ce un espace ou une forme molle et envahissante ?  une tempête d’hiver, un désert brulant ? Est-il niché dans un haiku de John Cage ou dans la folie des doigts  d’Ahmad Jamal ? Est-t-il le rivage des Syrtes? Couche-t-il avec la lune les nuits de grand soleil .
Vous l’aurez compris on va arpenter une « terra incognita ». Une navigation à l’estime au-delà de l’horizon où le voyage sera fait de ce que l’on trouvera.
Besos desde el oeste, kisses from west.

mercredi 10 septembre 2014

Selfie



Je suis en train de faire des selfies  avec ma nouvelle tablette  tout en me disant qu’au train arrière où vont les choses, ce déballage de nos vies, cet étalage de nos égos, l’étape suivante sera l’endoscope dans le cul. 




Chacun en fera l’usage qu’il veut. Pour ma part, debout dans l’atelier,  je vidéo-projetterai des images de mon gros colon sur des toiles plus ou moins grandes  selon la distance. Une fois le fichier choisi  et  imprimé par  laser à jet d’encre afin d’avoir une trame, il ne restera   qu’à le recouvrir de peinture  et  signer avec mon empreinte ADN préalablement enregistrée au « Bureau des Empreintes »,  organisme onusien dont la politique de confidentialité des données personnelles est sans faille. Enfin autant que celle de Google vis-à-vis de la NSA.


Ces œuvres  intimes,  « véritable mise à nu de l’artiste », seront  finalement reconnues en 2042 (assez tardivement j’avoue) comme prédictives d’un mouvement de la  société occidentale dit  «période du  selfie interne ». Ces exégètes de mon travail  noteront au passage une légère addiction au coco breton. 


Je vous le dis les amis, la puissance de calcul des ordinateurs nous ouvre des horizons sans limites  et les confessions de « Valoche » paraitront une bluette à côté de telles réalisations.

A cet instant le bidule émet une sonnerie élégante et coréenne qui annonce  une notification. Je vous la livre :

« Le comité de surveillance de l’unité de stockage i-nuage 512 à laquelle vous adressez vos photos trouve que vous avez une sale gueule et procède à la destruction immédiate des fichiers ».

Et depuis 15 jours je reçois toutes sortes de propositions de chirurgiens esthétiques, clinique du sourire etc … dans un rayon de 50 km. La prochaine fois que j’accepte la géolocalisation ce sera au pôle nord.

jeudi 14 août 2014

Manarola



La gare de Manarola est un trait de lumière entre deux tunnels. Ses quais bordés de bougainvilliers  ouvrent sur la mer. Nous attendons le train qui fait la navette des Cinqueterre, cinq villages suspendus entre  mer et  ciel. Il y a là toute l’Europe et aussi des japonais, des indiens. 



 Tout d’un coup un bruit énorme sort de l’un des tunnels et s’installe pesamment dans l’air chaud. On se regarde les uns les autres. Quelqu’un dit : 
-          « C’est des mecs qui enlèvent le noir du tunnel ».
Les francophones rient. Alors les autres demandent pourquoi et de langue à langue toute la gare se mare.  Pour une raison mystérieuse ce rire  enfle, enfle. Même le google translator des japonais s’y met, c'est dire. Lorsque le train arrive, ses passagers nous regardent, éberlués, et puis descendent et puis rient aussi. Le chef de gare s’époumone dans son sifflet. Le conducteur du train ne peut plus conduire et personne ne monte. Chacun attend que le noir du tunnel s’évapore. 

Le bruit cesse. 

Les tunnels sont là, bien noirs, des deux côtés de la gare. Nous montons en silence. Le chef de gare s’essuie le front, il vient de sauver l’administration italienne. Le train démarre et s’engouffre dans la montagne. Les japonais parlent à toute vitesse avec des petits rires et tapent des trucs sur leurs claviers tactiles. Un sikh remet son turban en ordre, une famille hollandaise mange des coupe-faim XXL.
L’incident est maintenant décrit comme « le fou-rire de Manarola ». Il a été  filmé par 17 portables et trois tablettes. Des photos innombrables ont été expédiées dans les inuages. Malgré le saccadé des images et les pertes de champ,  quelqu’un a  fait un montage de 14 minutes avec au moins une dizaine de points de vue différents  Il a été vu  3 478 000 fois sur You Tube. Des psychiatres se sont penchés sur la question, des experts en gaz neurotoxiques. Les complotistes estiment qu’il y a « quelque chose » dans ce tunnel. 

Personne n’explique cette perte de contrôle collective.

lundi 9 juin 2014

TINA



Cette nuit-là Maggy ne dort pas. Elle serre  contre elle son sac en croco. Dans sa tête s’entrechoquent  les paramètres qu’on lui distille depuis des mois. Le puzzle se constitue enfin  sous ses yeux et elle  comprend  que son pays va crever. Le lendemain elle  annonce :

-          « There Is No Alternative »

L’Angleterre vient de déclarer la guerre au reste de la planète  et  Maggy d’accoucher  Princesse TINA. En toute bonne logique cette dernière a survécu à sa génitrice et elle  est devenue l’icône du néo libéralisme le plus cynique pour lequel  « il n’y a pas d’autre solution »  quel que soit la pression atmosphérique ou l’âge du capitaine.

J’aurais pu  peindre notre princesse comme une ménine aveuglée,  le bas de sa robe empesée  baignant  dans le sang des  victimes qu’elle piétine allègrement.

A cette allégorie J’ai préféré une grille froide, une toile glacée.


 TINA - 2014 - 130x97cm 

 Elle dit mieux la sauce churchillienne –blood and tears -  concoctée par des fondus d’Excel dont l’index reste  coincé sur la variable (humaine)  d’ajustement. Nous ne sommes pas  dans la diagonale  du fou mais dans l’algorithme des dingues.

 Il y a maintenant plus de  100 milliardaires en Grande Bretagne, record absolu par rapport au nombre d’habitants.

A part le boulot à l’atelier j’ai répondu aux questions  d’Alicia Hiblot de Mirabelle TV (qui sévit dans nos contrées lorraines). Elle anime une émission culturelle mensuelle du nom de CulturePop. Vous pouvez me retrouver en suivant ce « clic »