La gare de Manarola est un trait de lumière entre deux tunnels. Ses quais bordés de bougainvilliers ouvrent sur la
mer. Nous
attendons le train qui fait la navette des Cinqueterre, cinq villages suspendus
entre mer et ciel. Il y a là toute l’Europe et aussi des japonais, des indiens.
Tout d’un coup un bruit énorme sort de l’un des tunnels et
s’installe pesamment dans l’air chaud. On se regarde les uns les autres.
Quelqu’un dit :
-
« C’est des mecs qui enlèvent le noir du
tunnel ».
Les francophones rient. Alors les autres demandent pourquoi
et de langue à langue toute la gare se mare. Pour une raison mystérieuse ce rire enfle, enfle. Même le google translator des
japonais s’y met, c'est dire. Lorsque le train arrive, ses passagers nous
regardent, éberlués, et puis descendent et puis rient aussi. Le chef de gare
s’époumone dans son sifflet. Le conducteur du train ne peut plus conduire et
personne ne monte. Chacun attend que le noir du tunnel s’évapore.
Le bruit cesse.
Les tunnels sont là, bien noirs, des deux côtés de la gare.
Nous montons en silence. Le chef de gare s’essuie le front, il vient de sauver
l’administration italienne. Le train démarre et s’engouffre dans la montagne.
Les japonais parlent à toute vitesse avec des petits rires et tapent des trucs
sur leurs claviers tactiles. Un sikh remet son turban en ordre, une famille
hollandaise mange des coupe-faim XXL.
L’incident est maintenant décrit comme « le fou-rire de
Manarola ». Il a été filmé par 17
portables et trois tablettes. Des photos innombrables ont été expédiées dans
les inuages. Malgré le saccadé des images et les pertes de champ, quelqu’un a
fait un montage de 14 minutes avec au moins une dizaine de points de vue
différents Il a été vu 3 478 000 fois sur You Tube. Des
psychiatres se sont penchés sur la question, des experts en gaz neurotoxiques. Les
complotistes estiment qu’il y a « quelque chose » dans ce tunnel.
Personne n’explique cette perte de contrôle
collective.