vendredi 24 février 2012

Rue de la Colline

Il dit :

- « Docteur j’ai plus mal la tête quand je rêve souvent à la petite fille oh elle est bien jolie dans sa robe il faut pas lui faire du mal et quand elle sera grande elle sera aussi belle que Lucie les monstres maintenant ils sortent de ma tête pour retrouver N’ et toute sa bande qui se bagarrent avec ceux de Mahmoud j’ai des amis moi aussi mais je vais pas au café avec eux même si Bruno il voudrait parce que maintenant je connais le monde et on peut aller dans le jardin après qu’on a mangé dans la cuisine çà fait du bien docteur là bas tu peux parler qu’avec les mains Mahmoud il dit « c’est mes mains qui parlent » et puis après il se tait parce que Mahmoud c’est ses mains qui parlent docteur il y a un truc que je veux pas faire quand même c’est aller au four j’ai peur quand on descend l’escalier de la cave je crois que c’est là qu’ils restent les monstres maintenant je prends plus le médicament j’ai plus besoin pour dormir quand je reviens de l’atelier ma tête elle est légère je prends le bus tout seul. »

Il reprend son souffle et le docteur en profite :

- Maintenant que vous avez des amis là-bas est-ce que je peux compter sur vous pour y aller régulièrement?
- le four il est là mais les autres j’irai les voir souvent quand je monte la rue de la Colline je suis heureux docteur dans mes rêves il n’arrive plus de malheurs à la petite fille dans la forêt oh elle est belle est-ce qu’ils l’ont trouvée maintenant avant j’avais peur qu’ils la trouvent pas oui c’est clair je vais faire une chose.
- Quoi ?
- Je ferai ma tête qui dort et je la mettrai dans le jardin d’un endroit qu’elle pourra voir tous les gens de l’atelier et loin du four ils m’ont appris je saurai la faire avec mes mains ma tête qui dort.

- Elle n’aura pas peur, la nuit, dans le jardin?
- La nuit il y a le guetteur.
- Le guetteur ?
- Ses yeux voient dans le noir il surveille les monstres



NB : « mal la tête » est une expression très lorraine. Avec des variantes : « mal les jambes » par exemple.
Ce mini récit totalement imaginaire m’a été inspiré par la visite de l’atelier Delta, Rue de la Colline à Nancy, qui dépend de l’HP de Nancy. C’est un endroit bien organisé et chaleureux, où s’expriment environ 150 personnes chaque semaine par le biais de la peinture, du modelage de la récupération et des assemblages les plus divers. Un véritable lieu d’Art Brut non frelaté. Il est couvert de tableaux et de masques du sol au plafond et il reste 2 centimètres carrés d’étagères disponibles. Je remercie toute l’équipe des encadrants avec laquelle j’ai pu parler un long moment.