J’aime
courir le matin tôt dans la ville en essayant de la regarder avec les yeux d’un
étranger. Ceux d’un américain qui verrait tomber sur le parvis du Centre
Pompidou des éclats noir et blanc de la superbe exposition Sol Le Witt, ceux d’un
kosovar livré tout frais sorti d’un carton
près de la gare routière ou ceux de cette jeune étudiante chinoise qui observe comme
moi les cols verts sur l’île du parc de
la Seille et envoie « Chers parents, mille printemps dorés ne suffiront
pas à vous remercier de pouvoir découvrir cette étrange contrée où l’on élève des
canards en liberté. Regarder une autre civilisation est une source intarissable
de bonheur et rien ne saurait égaler l’immensité des questions que cela
m’oblige à me poser quant au sens des choses ».
J’aime ce parc, longer la rivière dans le sens du
courant après avoir traversé la houblonnière. Il y a juste ce drapeau.
Au-dessus
du Centre Pompidou flotte un drapeau
français. On le voit d’un peu partout. En ces
temps nationalistes c’est un peu pompeux et pompant. Je me demandais
hier en courant si le 14 juillet n’y suffirait pas. Et pour les autres jours
changer : le lundi Botswana, le
mardi Egypte, le mercredi Ardennes belges (très beau) et ainsi de suite. Chaque
soir le dernier visiteur du musée choisirait
le drapeau affiché au matin. Il y aurait aussi des drapeaux d’enfants, des drapeaux
d’artistes, des drapeaux de marine, des longs, des larges, des courts, des
triangulaires, des « à tête de mort ». On pourrait créer des produits
dérivés, le Dragon soufflant ou Neige
sur fond gris –c’est très joli comme drapeau - Ondulations méditerranéennes
etc… Soit quelques milliers de jours différents moins le 14 juillet, c’est
avantageux. Ah, envoyer les couleurs dans un musée !
J’imagine
le directeur, avec son équipe, en train de hisser la Mongolie Atlantique à 72
mètres de haut. Je doute que ça le fasse rire longtemps le directeur. Mais bon il faut ce qu’il faut, Metz a un passé
militaire. Hisser le drapeau est une tradition et les hauts fonctionnaires de
la Nation doivent se plier à quelques contraintes protocolaires.
J’en
étais là de mes réflexions lorsqu’un des cols verts s’est mis à gueuler comme
quoi il aimait pas le regard laqué de cette chinoise et que j’étais bien trop
près des œufs qu’il gardait et que sa nana allait pas tarder à revenir, qu’il
allait se faire allumer parce qu’il avait pas réussi à me chasser, que tout ce
stress allait se répercuter sur les petits et qu’il faudrait voir à installer
une cellule psy dans cette putain d’île tellement les visiteurs viennent nous y
briser les rectrices et qu’on pourrait tout de même hisser un drapeau du pays
des canards pour bien marquer que c’est chez nous.
Hé bien c’est
pas gagné le salut à toutes les couleurs. Bon été à tous.
EARLY – 2013 – 162x114cm
NB : Le
parc de la Seille est l’œuvre (qui vieillit bien) de Jacques Coulon (architecte) et Laure
Planchais (paysagiste)