Ma
première maîtresse était une femme un peu ronde, pas très grande et avec des
yeux très sombres. Sa peau luisait doucement lorsqu’elle passait de l’ombre
à  la lumière. Son parfum allait et
venait autour de moi avec douceur. Je suivais sa marche sans en perdre une
miette.
Lorsque je croisais  son regard 
j’y voyais de l’amour. Mais mes yeux s’attardaient plutôt sur son
décolleté profond  qui recelait des
mystères dont l’élucidation nécessitera 
encore quelques années. Ma première maîtresse m’a appris à lire.
J’aimais
le son de sa voix et jamais elle n’a crié après moi lorsque je faisais des
erreurs. Même enfant je me rendais compte qu’elle parlait magnifiquement  bien 
et à mes parents je disais «  vous ne  parlez pas comme la maîtresse ».
Pour
diriger mon doigt vers  la bonne
syllabe  elle posait sa main sur  mon poignet et je sentais la chaleur de
sa  paume. Cela me rassurait. J’ai appris
vite malgré la tentation qu’elle serre 
souvent mon  poignet.
Ma
première maîtresse était une femme noire.
Une
guadeloupéenne. C’est à Basse-Terre, en 1957, que j’ai appris à lire. Merci maîtresse, tu m'as initié à un plaisir qui dure encore.
L’école de mon enfance a bien changé.
On lui a foutu un toit mansardé et
rajouté une belle terrasse sur un flanc.

 
