Invariablement il y en a un qui arrive à grandes foulées, ralentit à ma hauteur et balance :
- Je ne sais pas ce qu’il y a mais c’est dur ce matin. Le vent peut être…
- Ouais…
Toujours le même genre d’oiseau au plumage goretexfluoréthermoconducteur avec pub Audi et cardiofréquencemètre incorporé. J’adore ces mecs. Malgré des grognements, des halètements, des borborygmes, des crachouillis ils restent à tes côtés et tapent une converse passionnante :
- De l’autre côté c’est bourré de flaques jusqu’au pont, c’est pour çà que je suis venu là mais bon ce matin …
- humpf, ouais…. t’as quand même une belle foulée.
- Question d’habitude. Et puis cette semaine ya pas le concours de pêche, putain la semaine dernière, ah les blaireaux !!!
Bon, encore un coriace. Il faut la jouer fine mais je commence à maîtriser, c’est une question de timing. Juste après sa phrase laisser un petit silence pour qu’il entende bien mon souffle épuisé, humpff, laisser tomber la lèvre basse et balancer dans un soupir :
- excuse moi mais c’est toujours pareil à partir du 20ème..
- ah bon, tu … tu as…
- … suis parti à 6 heures mais là j’ai un peu de mal… c’est le « big hole »
Là, il est mûr, reste juste à baisser les paupières modestement et à faire un petit geste de la main :
- vas y, faut que je passe le cap, vas y.
Et là il s’éloigne de sa belle foulée pimpante. Je sens bien qu’il gamberge.
« Big hole » faut le dire avec l’intonation du mec hyper concerné qui a déjà sondé les profondeurs de ses ressources physiques. C’est tellement naze que c’est imparable.
Le soir à la téloche je vois le Président qui court avec belle tenue. Va savoir pourquoi je trouve qu’il a la tronche d’un mec qui se tape un « big hole ». Je me demande s’il va faire plusieurs tours.